Les MOTS du PLATEAU

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Brute

Un brute...
n'est pas un gros bras qui règle son compte au premier venu, pourtant ce mot évoque bien la force, en désignant un projecteur de forte puissance appelé ARC. Ce nom de Brute (prononcé sur les plateaux français Broute) vient du vocabulaire du cinéma américain pour parler des projecteurs à charbons (artificiels) ou projecteurs à arc (Carbon Arc lights). Les arcs furent lontemps (avant les HMI) les seules source de lumière du jour pour les extérieurs. Il y avait les projecteurs de lumière artificielle pour le studio et les arcs en extérieur, bien qu'ils étaient aussi utilisés en studio. La mise au point de l'arc électrique se réalise entre 1801 et 1811. On la doit à Sir Humphry Davy (1778-1829). Ces premières applications furent l'éclairage de gros chantiers de construction et l'illumination des zones côtières où s'effectuaient, de nuit, des opérations de secours maritimes. Puis les arcs furent utilisés pour les spectacles en plein air et les fêtes forraines. Ensuite, vers 1849, les théâtres accueillirent ces sources d'éclairage. Au début du XXe siècle avec le cinéma aux pellicules peu sensibles, les arcs équipèrent certains studios. Georges Méliès signale vers 1907, qu'il installe des projecteurs dans son studio de Montreuil. Positionné dans de simples "carcasses" (d'où le nom qui est resté de gamelles) le système d'éclairage à charbons, "innondait" grossièrement les décors, sans lentile, sans volets... sans aucun accessoire et les rayons ultra-violets produit par l'installation "innondaient" également les yeux de celui qui passait dans le faisceau !

Brute, Philippe Sanson au 225 - Forêt de Rambouillet - 1984

Philippe Sanson au 225 - Forêt de Rambouillet - 1984

Dès 1911, aux Etats-Unis, les frères Kliegl, John et Anton, fabriquants de matériel d'éclairage pour les théâtres, proposent pour la prise de vue cinématographique, des lampes à arcs, "Lampes Klieg".

La société américaine Mole-Richarson (parmi d'autres) proposera, plus tard, des projecteurs alimentés en courant continu de 150 Ampères à 350 A, des puissances allant de 18KW à 42 KW. L'Arc le plus répandu sur les plateaux était le 225 A, on parlait même directement d'un 225 ou d'un Mole 225 sans ajouter d'autres précisions. Les modèles de chez Mole s'appelaient : Mole 150, Baby-Brute (225 A à petite lentille fresnel), Litewate Brute (225 A à grande lentille fresnel), Brute (le plus "classique" : 225 A) et le Titan (350 A). Seul le 225 A "classique" est encore (très rarement) utilisé. L'alimentation électrique de ce type de projecteur se fait en courant continu 120 Volts, par deux câbles unifilaires, de forte section, qui sont connectés à une "résistance". Celle-ci est en générale posée sur les tiges horizontales du pied de l'arc. Le courant (120 V) est alors transformé en 73 Volts.
La résistance permet de compenser l'élévation de puissance dûe à la "réduction" permanente des charbons eux-même qui "brûlent" et elle réduit sérieusement le bruit du fonctionnement. Les câbles repartent de la résistance pour être reliés à l'arrière du projecteur (au + et au - ), un voyant lumineux signale la bonne (vert) ou la mauvaise (rouge) "polarité". Les groupes électrogènes fournissant, pour la très grande majorité d'entre eux, du courant alternatif (380 V.), il est nécessaire de transformer ce courant au travers d'une cellule pour qu'il soit adapté aux arcs. Mais la société française, A.-E. Cremer, proposera le Tripharc, petit arc peu encombrant, allimenté en courant triphasé (7 Ampères en 220V).

Un bon (électro) "meneur" d'arc arrivait à faire durer ses charbons une quarantaine de minutes. Lorsque le moteur d'avancement des charbons était parfaitement réglé, on pouvait considérer qu'une heure d'utilisation correspondait à 51 cm de charbon positif et à 25,4 cm de négatif. Les charbons d'un arc de 225 Ampères faisant respectivement 56 cm pour le positif et 23 cm pour le négatif, donc une heure l'utilisation d'un négatif, nécessitait deux positifs... Les parties servant au maintien des charbons n'étaient jamais utilisées. Toutes sortes de problèmes pouvaient survenir en cours de service. Le moteur d'entraînement des charbons pouvait avoir des "ratées", provoquant une mauvaise avance... le retard éloignait les deux charbons et la flamme en forme d'arc (d'où ce nom) commençait alors à vaciller, la lumière était alors instable ("flicker") et si ce défaut s'accentuait, l'arc se coupait ! Au contraire, une avance trop rapide des charbons provoquait l'émission de bruits très gênants du genre "agonie d'un dinosaure" ! Des molettes permettaient de réguler cette "avance" manuellement.

Il fallait surveiller son arc, du haut de son échelle, en regardant de temps en temps, au travers de l'un des verres filtrant les rayons UV disposés sur sa carrosserie. Le plus difficile était de savoir apprécier le temps d'utilisation restant lorsque le prise de vue venait de se terminer. Il fallait être capable de "charbonner" en quelques secondes, retirer les charbons encore incendescents pour placer aussitôt une paire de neufs. Soit la longueur du plan obligeait à prévoir une durée plus importante que les morceaux de charbons restants, soit on arrivait trop près de la fin des charbons... la phrase : "on la refait toute suite !", lancée par le premier assistant réalisateur, provoquait parfois une bonne pannique ! Dans certains décors, on ne pouvait pas laisser tomber les "vieux" charbons au sol, leur terrible chaleur y aurait mis le feu ! On accrochait parfois une boîte de conserve vide pour réceptionner les "cadavres", encore chauds, des charbons.

Dans une équipe d'électros complète, il y avait un électro par arc, plus des électros avec le chef pour la face et la manipulation des divers équipements nécessaires au travail du chef opérateur. Une échelle en bois par arc et de très nombreuses paires de charbons en réserve, complétaient le matériel. L'installation sur pied d'un 225 mobilisait souvent trois électros, bien que des "concours" sur le terrain aient provoqué des exploits... Arc porté à l'épaule !!! Le projecteur était composé : de sa tête (vide) avec sa lentille fresnel, de son moteur indépendant que l'on introduisait après la mise sur pied (qui accueillait les charbons), de sa résistance, de son pied électrique et des câbles nécessaires au raccordement (tête/résistance) et en dernier lieu d'une paire de charbons. Des fumées très nocives s'échappaient du sommet de l'arc par ses cheminées. Sur le tournage de "Play Time" (1967) de Jacques Tati, 32 arcs étaient utilisés pour le très grand décor construit en face des studios de Saint-Maurice !

Les charbons existaient en deux catégories : White Flame & Yellow Flame - Elles pouvaient être utilisées toutes deux pour les films noir & blanc et les films couleur. Mais l'utilisation de filtres colorés (gélatines) était nécessaire pour arriver à adapter le spectre. Les charbons "white flame" étaient à 6200 K (± 300 K) de type lumière du jour avec une émission de rayons ultra-violets très importante. Un filtre "Y1" (réf. Mole et Rosco ou 212 chez Lee) ou WF, permettait de réduire ces UV la températeure de couleur était alors de 5700 K (± 300 K). Si on ajoutait à ce premier filtrage une gélatine "MT-2" (Réf. Rosco ou 104 chez Lee), ces charbons s'adaptaient à la lumière artificielle avec une température de 3100 K (± 300 K). Les charbons "yellow flame" étaient à 4100 K (± 200 K) ils pouvaient être filtrés avec la référence YF ou 101 (ou 213 chez Lee) pour avoir, approximativement, une température de couleur de 3200 K (± 200 K). A la fin des années 50, on pouvait trouver des charbons d'arc dans les sociétés parisiennes suivantes : Brockliss-Simplex, Carbone Lorraine, Le Charbon électrique, Cinélume et Victoria-Electric.

Charbon Négatif Lee pour Arc 225 A

Charbon Négatif Morganite pour Arc 225 A

2 types de charbons Négatifs pour Arc 225 A : Lee (en haut) et Morganite (en bas)

Ce procédé d'éclairage équipait également les "lanternes" des appareils de projection dans les cabines des salles de cinéma qui avaient généralement deux "postes" (deux projecteurs) au minimum. L'opérateur-projectioniste avait non seulement à effectuer l'alternance des bobines du film sur l'un et l'autre appareil (environ 11 min par bobine), mais aussi à surveiller l'état des charbons pour conserver la même luminosité sur l'écran durant toute la projection. La chaleur dans la cabine était parfois insoutenable malgré les cheminées qui faisaient échapper les fumées et les vapeurs nocives à l'extérieur sur le toit du cinéma. Une importante catégorie de projecteurs a pris le nom de BRUTE : Mini-Brute, Maxi-Brute...

Quelques exemples parlant :

- "Y nous les broute avec ses Brutes ! Ça fait trois fois qu'on les déplace, faudrait savoir s'qui veut !" - "Si on refait le plan, j'suis pas dans la M.... ! Mes charbons sont presque au bout !" - "Nénesse a pris le Brute sur son épaule, y reste la résistance et les câbles... ça vaut pas Riton, lui y prenait le tout d'un seul coup !" - "Encore un moteur de Brute qu'a lâché, si ça continue on va éclairer à la bougie !" - "Si on prend des Arcs pour la nuit, y'm'faut du monde, c'est pas des mandarines ces petites bêtes-là !" - "Te gourre pas de polarité, et fais gaffe au verre fumé, il est fêlé... tu vas avoir des UV plein les mirettes !"

Mot précédant :

Boudin

Mot suivant :

Cale en sifflet