Couleur(s)...
employé au singulier comme au pluriel, le mot couleur s'oppose à "noir et blanc" dans le vocabulaire du cinéma. Il qualifie alors toutes les teintes, en dehors du gris, du noir, et du blanc. On parlera d'un film en couleur, ou de la télévision en couleur. Sans entrer dans trop de détails sur l'histoire des images colorées (elle pourrait faire l'objet de centaines de pages), on peut prendre comme repère la date de 1862, année au cours de laquelle Louis Ducos Du Hauron décrivit différentes méthodes pour réaliser des photographies en couleurs.
Il décompose sa photo en trois clichés distincts, un rouge, un jaune et un bleu. Puis, il réunit ces trois images, pour obtenir une "représentation fidèle à la nature", comme il l'écrit. Il réalise en 1879, sa "Nature morte avec coq", un transparent tricolore réalisé grâce à un procédé au carbone (Histoire de la Photographie - de 1839 à nos jours - Taschen © 2015). Les clichés stéréoscopiques (transparents - ancêtres des diapositives) sont coloriés au pinceau dès 1858. Toutes les tentatives, plus inventives les unes que les autre, sont expérimentées pour apporter la couleur aux photographies.
Dans les années 1870, particulièrement en Angleterre, les épreuves (monochromes) à l'albumine étaient introduites dans des photomontages ornés à l'aquarelle. Depuis ces temps primitifs, de multiples procédés furent mis au point, avec des résultats plus ou moins satisfaisants, la plupart d'entre eux disparaîtront rapidement. Dans les premières années du XXe siècle, les techniques s'améliorent et laissent de côté les ajouts colorés (peintures ou vernis) pour se concentrer sur la prise de vues directe, en couleur. Pour faire la liaison avec le cinéma en couleur qui nous intéresse, le procédé Autochrome est le plus approprié. La Société anonyme des Plaques et Papiers photographiques A. Lumière et ses Fils dépose un brevet, le 17 décembre 1903, pour un procédé de photographie en couleurs (n°339.223), suivi d'un brevet (n°350.004) pour la photographie trichrome, le 26 juin 1904. Les plaques de verre négatives, Autochrome, sont recouvertes de microparticules de fécule de pomme de terre, teintées de vert, de rouge, et de bleu, fixées par de la résine. L'exposition très longue (les sujets ne doivent pas bouger), les deux développements successifs très complexes, et la reproduction par transparence, font que ce procédé reste réservé aux professionels. L'Autochrome sera remplacé progressivement par le Kodachrome (1935) et l'Agfacolor (1936).
Autochrome Lumière - 1908 - (Plaque 9 x 12 cm) - © Institut Lumière - Lyon
Le cinéma prend des couleurs
Dès 1895, le cinéma, qui vient de naître, prend déjà quelques couleurs. Dans une courte bande de 32 secondes, "Forgerons", les frères Lumière présentent un film colorié au pinceau. Le film original en noir et blanc est recouvert d'un vernis transparent, une laque colorée qui laisse passer la lumière. De petites touches de quelques couleurs sont disposées très grossièrement sur les personnages et les accessoires dont ils se servent. Forgerons restent la plus ancienne trace de film en couleurs. La quantité de laque n'est pas la même sur chaque image, et cette variation d'épaisseur provoque une fluctuation de l'intensité de la coloration. De plus, l'application, qui déborde des contours du sujet, donne un mouvement incontrôlé des couleurs. Des ateliers spécialisés vont se créer pour la coloration des films. Des dizaines d'ouvrières, les cheveux maintenus dans des coiffes, peignent image par image les bandes noir et blanc. Seuls quelques éléments sont passés en couleur, un vêtement, un visage, un meuble... Le film est étalé sur toute sa longueur pour permettre à la laque de sécher. Plus tard, un procédé mécanique, actionnant l'avancée du film en même temps qu'un système d'application d'éponges, déposera les couleurs à travers des pochoirs découpés aux formes à colorier.
Une longue série d'inventions tentera de gagner le marché fructueux des productions, les films en couleurs étant deux fois plus chers que les films "noir & blanc". Par synthèse additive tout d'abord, avec des résultats décevants, mis à part, peut-être, le Lumicolor des frères Lumière. Puis avec le très complexe procédé américain Technicolor et ses trois négatifs. Et enfin, le Kodachrome, dont le négatif comporte définitivement tous les éléments pour reproduire les couleurs naturelles, dès la prise de vues et au moment du tirage du positif.
Les pellicules couleur font reculer la sensibilité acquise par leurs grandes sœurs du noir & blanc. Il faut éclairer de façon très importante dans les studios, surtout lorsque l'on souhaite une grande profondeur de champ. Les éclairages se séparent en deux catégories : Lumière artificielle et Lumière du jour, et les émulsions correspondent à ces deux types. Les filtres colorées s'utilisent devant l'objectif, et les gélatines (jusque-là réservées aux salles de spectacle) se placent devant les projecteurs. On "fait la Lily" en fin de plan, pour faciliter le travail en laboratoire. C'est une charte des nuances de gris, entre le noir et le blanc, complétée par une gamme de couleurs (généralement : vert, jaune, rouge, bleu). Cette plaquette est présentée (et filmée) à côté des visages des acteurs dans la lumière d'un plan terminé.
Premier film de long métrage en couleurs naturelles (Procédé Technicolor trichrome) :
Becky Sharp de Roben Mamoulian - 1935
Chronologie de quelques procédés de film en couleurs :
1906 : Kinemacolor (G. A. Smith) - filtre vert et filtre rouge - 32 images/sec.
1911 : Biocolour (William Friese Green)
1912 : Procédé du Docteur Doyen (trois films) un des 1ers essais français
1912 : Cinecolorgraph - Chronochrome (Gaumont)
1913 : Colcin
1915 : Technicolor (1er procédé, appliqué en 1922)
1918 : Polychromide
1919 : Prizma Color
1921 : Cinechrome
1923 : Procédé Parolini Cesare (Brevet n°569.407 - 1er août).
1926 : Bush Color
1927 : Spendicolor - films trichromes (Brevet n°644.803 - 19 octobre)
1927 : Arrivée de la pellicule Panchromatique Eastman (N&B)
> changement du maquillage et des peintures des décors
1928 : Multicolor - Technicolor (2e procédé)
1928 : Sirius - Sté Kleuren-Film Maatschappij - (Brevet n°646.693 - 3 janvier).
1929 : Raycol
1929 : Colorgraph (Espagne : Hernandez Mejia & Dr Martinez)
1930 : Ufacolor - Cinecolor bi-chrome
1931 : Dufaycolor (GB)
1932 : Cinecolor - Technicolor (3e procédé)
1932 : Rouxcolor - Procédé par synthèse additive tétrachrome
- images contigües - Par Armand et Lucien Roux - France
1934 : Premier court métrage avec le procédé Technicolor (trichrome) : La Cucaracha (RKO)
1935 : Francita (3 filtres à la prise de vues et à la projection)
1937 : Lumicolor (à partir du procédé photographique Autochrome) - Frères Lumière
1945 : Anscolor (Brevet Agfacolor diffusé dans le monde entier)
1946 : Trucolor - Chimicolor (par Raymond Valette - 2 négatifs)
1948 : Franco Agfa Color
1949 : le procédé de développement des films couleurs Gevaert est utilisé aux laboratoires GTC
1950 : Sovcolor - adapté du procédé Agfacolor - URSS
Cinémacolor, Cinécolor, Magnacolor, Trucolor (Procédé bichrome), Auto Natural Color Films, Ciné-Chromatique, Vitacolor, Zoechrome...
La Télévision en couleurs
1899 : Brevet de télévision en couleur déposé par A. A. Polumordvinov (avec filtres colorés) - Brevet n°10738 - (Russie)
1908 : Brevet de télévision en couleur déposé par Hovanes A. Adamian, le 5 mars (puis en GB le 1er avril) - (Russie).
1925 : Brevet déposé par Zworykin, pour la télévision couleur, le 13 juillet - (USA).
1941 : Adoption de la norme de télévision en couleurs en 441 lignes, à 30 images/seconde - (USA).
1948 : Création du National Television System Committee (NTSC) - (USA).
1950 : Présentation d'un tube cathodique pour télévision couleur, par RCA, le 30 mars - (USA).
1960 : Transmission de télévision en couleur entre Paris et Londres, en 625 lignes SECAM - (France/GB).
1963 : Premiers essais de l'émetteur de télévision en couleurs, pour une 2e chaîne française.
1968 : Première retransmission en couleurs et en Mondovision des Jeux olympiques de Grenoble (Caméras Thomson-CSF).
Quelques exemples parlant :
"C'est du Technicolor, va falloir arrosé et sortir toutes les gamelles !" - "Avec le noir et blanc, y'avait pas de problème pour les comédiens qu'avaient trop bu à la cantine, y pouvaient reprendre après la pause, avec les joues bien rouges, ça remplaçait le fond de teint." - "Les films en couleurs j'peux pas voir ça, c'est trop comme la vie, c'est plus d'l'art !" - "Couleurs naturelles ? Mon œil ! On dirait que la photo a été faite par les Frères Ripolin !" - "Couleur ou noir & blanc, j'm'en fiche, c'que'j'veux, c'est voir la couleur de mon chèque, vendredi, en fin de tournage !".
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